Il était une fois en Argentine …
tel pourrait être le titre de la nouvelle vie de Florent Pagny, traversant, apaisé, la Patagonie sur des locomotives à vapeur.
Il est le grand vainqueur des Victoires de la musique. Le triomphe d’un solitaire qui a coupé avec Paris et ses longues dérives nocturnes pour prendre racine en Terre de feu
A peine Florent Pagny venait-il d’obtenir la consécration suprême en remportant le titre d’artiste interprète de l’année aux dernières Victoires de la musique qu’il repartait, gonflé à bloc, pour une tournée marathon de plus de deux mois. Mais, s’il est de nouveau sur les sommets de la gloire, ce sont toujours les cimes de la cordillère des Andes qui l’attirent irrésistiblement. Celles qu’il aperçoit des fenêtres de son hacienda où il se réfugie, aussitôt qu’il le peut, avec Azucena, sa compagne, et Inca, leur fils. Paris Match publie en exclusivité les premières photos d’un futur album consacré à la Patagonie telle que la vit et la voit "El Señor Pagny".
En devenant propriétaire de plus de 4 000 hectares en Patagonie, Florent Pagny a également hérité de plusieurs centaines de têtes de bétail. Cavalier émérite, il n’hésite pas à donner un coup de main à ses péones.
Il règne sur 4 000 hectares et des centaines de têtes de bétail
Passionné de pêche, Florent a élu comme Q.g. la
cabane sur pilotis qui surplombe son lac.
Au pays des machos, le chanteur n’a pas oublié
la galanterie française. A l’heure de la promenade, il cède
volontiers le confort de sa selle à son fils et à Azucena,
sa tendre amazone.
Pêche, moto, cheval … en Patagonie, Florent ne travaille pas. Il est trop occupé à vivre !
A l’époque où il jouait dans la catégorie "challenger" de Bruel, c’est dans le noir des boîtes branchées et enfumées que Florent Pagny "prenait du recul". C’était presque il y a dix ans, la fin des années 80, des années frime. Aux Victoires de la musique, il était un "espoir". Puis vinrent les "coups durs" : le fisc sur le dos, une douloureuse rupture avec Vanessa Paradis, un ulcère à l’estomac, les copains qui prennent le large pour aller coller à des basques plus en vogue. Heureusement, dans ces années galère, Ganja, le fidèle bull-terrier, était là. "Quand j’ai fait le vide autour de moi, je n’ai gardé que lui et juste une amie, une styliste, qui m’a redonné le goût de vivre. J’entendais partout Pagny est fini, mais je savais qu’ils se trompaient. Il restait en moi des braises qu’il suffisait de raviver." C’est cette amie dont parle Florent qui, lors d’un dîner, "il y a quatre ans et demi, après toute une année de remise en question", lui présente Azucena. Mannequin, peintre, cette magnifique Indienne de Patagonie va attiser le volcanique Florent qu’on croyait éteint.
Aujourd’hui, lorsqu’il croise les femmes de la pampa aux visages
sculptés par le rude climat, il est fier de dire: "Une perle
comme celle-là, ici, il n’y en avait qu’une et c’est moi qui l’ai
attrapée." Fille du vent, Azucena a balayé le passé
du chanteur, l’emportant vers le succès et son nouveau monde: les
grands espaces. Un décor de gauchos, à l’aplomb de la cordillère
des Andes. Une cabane sur pilotis donnant sur le lac. Nul intrus à
la ronde... C’est là, au milieu des vaches et des moutons, que,
entre un album, une tournée et une Victoire, il change d’air et
de ciel, "trouve le temps d’avoir des choses à raconter".
Décalé fin de siècle, très tendance sans le
vouloir dans sa quête d’un équilibre auquel ses anneaux aux
oreilles ne sont désormais plus nécessaires, Pagny, 36 ans,
se sent chez lui là-bas, à seize heures de vol de sa Bourgogne
natale.
Un homme à cheval... Pour l’arracher à son campo,
il faut de la persuasion, des arguments. Il faut d’abord parvenir à
le joindre sur son téléphone cellulaire qui fonctionne au
gré des nuages. "Certains mettent deux mois à y parvenir",
ricane-t-il. Si demain une guerre du Golfe recommençait, il n’en
saurait peut-être rien. "Il n’y a pas de journaux et seules
les rares personnes qui arrivent à me joindre me donnent des nouvelles.
Je n’ai pas de courrier, pas de télé. Les valeurs ici ne
sont pas les mêmes, les conversations non plus." Florent Pagny
ne s’en incommode pas, en paix dans sa tribu qui se réduit à
Azucena, Inca et quelques amis et parents qu’il autorise à passer.
Ni les bourrasques qui font grincer les portes, ni la poussière,
ni les nuits glacées de l’été qui donnent l’onglée
au petit matin, ni les kilomètres à parcourir pour aller
au ravitaillement, ni la rareté de l’eau chaude ne l’ont détourné
de son nouveau chemin, une nature où il faut se débattre. Pagny, le Patagon de base, porte le poncho, prend peu de douches et parle
couramment le castillan, la langue d’Azucena et des péones qui travaillent
sur les milliers d’hectares de son "hacienda". Avec eux, il a
fait, en janvier, la transhumance à la fonte des neiges.
A cheval, il a mené son bétail paître plus
haut l’herbe des Andes, campant le soir sur des peaux de bêtes et
mangeant le mouton fraîchement dépecé, grillé
au feu de bois. Fils d’un artisan menuisier, Florent fabrique lui-même
les meubles de jardin. Il creuse des troncs énormes pour en faire
des fauteuils. Pour "vivre rigolo", comme il dit, il a rapporté
de France des motos de trial en pièces détachées;
il roule en Hummer, ces grosses voitures tout-terrain de l’armée
américaine, et pêche en Zodiac. Ainsi, il communie sans cesse
avec ces paysages immenses et difficiles, beaux comme des premiers matins
du monde, chaque instant différent. Les forêts d’arbres pétrifiés,
les champs de lupins sauvages, les déserts de cailloux, le tortillard
qui passe au loin deux fois par semaine et les lacs asséchés
sur lesquels il aime marcher nu-pieds pour en puiser "la bonne énergie",
les baleines en liberté de Puerto Madryn. Petit à petit,
Pagny gagne du terrain. Il se familiarise avec cette terre, hors du temps,
qui l’a adopté. Lui, le noctambule, s’est mis à son rythme.
Ici, il se couche tôt, "bien avant minuit", et se lève
au petit jour. Il vit dehors. "Tout est vaste et disproportionné,
dit-il exalté. Quand tu vas à la pêche, tu te retrouves
seul sur un lac, sans aucun autre bateau, et tu mets deux heures pour le
traverser. Tu attrapes des poissons quatre fois plus gros qu’en France..."
Tondre les moutons, bavarder avec le vétérinaire de la ville
venu soigner ses bêtes, bricoler, faire un petit tour en V.t.t.,
chevaucher, loin de tout bruit, Pagny n’a pas encore trouvé le temps
d’écrire. Mais il promet qu’il va le faire, pour lui, pour le cinéma,
pour un prochain album... Au volant de son pick-up, il vocalise "à
faire péter les verres", se lance dans des imitations de Luis
Mariano au son duquel sa mère, qui rêvait d’être chanteuse,
le berçait tout petit, parodie ses propres disques "pour faire
marrer les copains".
En Patagonie, Florent ne travaille pas. Il est bien trop occupé
à vivre. Azucena "s’occupe du nid", pétrit le pain
quand elle ne peint pas. Inca court après le chat et tous les chiens
qui passent dans un jardin à perte de vue. C’est ici que Florent
a décidé de l’élever parce qu’il veut lui éviter
"de n’être que le fils du chanteur", et la pollution citadine
contre laquelle il ne cesse de pester. "L’an 2000 arrive et si on
peut éviter la ville c’est pas plus mal. J’ai acheté une
maison en Bourgogne, où j’ai installé mes parents. Ça
et l’Argentine me suffisent. Je suis prêt à remettre ma vie
en question pour aller là-bas où je vis en harmonie avec
la nature."
Après sa tournée en France qui commence le 1er
mars et s’achèvera fin 1998, à moins que le vent ne tourne
encore une fois, Florent Pagny lâchera sa Bentley neuve pour retrouver
son pick-up, et reprendre racine, le plus longtemps possible, "peut-être
même jusqu’à après l’an 2000", en Terre de Feu...
Ted Turner, Stallone, Benetton, comme lui, y ont acheté des royaumes.
Mais lui se dit prêt, s’il le faut, à aller encore plus loin
vers le désert pour "vivre en paix". Ne pas se consumer...